Insolites bâtisseurs

Épis, colle, ventilateur, peinture acrylique UV, néon UV, papier sérigraphié [Peel Sérigraphie], dim: 1,20m x 1,20m x (h) 1,70m, 2017. Crédit photo: Thomas Dabonot.

insolites bâtisseurs

tant pis si la forêt se fane en épis de pereskia
tant pis si l’avancée est celle des fourmis tambocha
tant pis si le drapeau ne se hisse qu’à des hampes desséchées
tant pis
tant pis
si l’eau s’épaissit en latex vénéneux
préserve la parole
rends fragile l’apparence
capte aux décors le secret des racines
la résistance ressuscite
autour de quelques fantômes plus vrais que leur allure
insolites bâtisseurs

Aimé Césaire, Moi,laminaire…, Paris, Seuil, 1942.

Cette installation interroge notre rapport aux environnements naturels. Encadrés, organisés, gérés, optimisés, le plus souvent dans un rapport de maîtrise anthropo-pensé.
Les plantes qui font partie de cette proposition sont des Phragmites Australis. Cette variété de roseau commun est présente dans la quasi-totalité des régions du monde, en zones humides. Elle évolue en colonies très denses et peut être considérée comme envahissante. Elle joue aussi un rôle dans la dépollution des eaux.
Le poème d’Aimé Césaire prend une résonance particulière face aux défis sécuritaires et environnementaux auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés. Les « insolites bâtisseurs » sont les poètes, les rêveurs, les imaginatifs, les questionneurs, les observateurs… tous ceux qui tentent de maintenir le monde dans son état mouvant, contredisant sans cesse toutes supposées fixités des choses. Les épis semblent absorber du sol une certaine idée de renouveau et sont poussés par un vent léger. Si l’on prend le temps d’y penser, le vent est toujours fait d’un air qui vient d’ailleurs.

Pour cette occasion l’installation fonctionne en deux temps. En journée, seuls les épis sont visibles. Quand vient la nuit, la lumière noire révèle le poème ainsi que la base des plantes qui prennent alors une teinte bleue.

Exposition

- Exposition personnelle, « insolites bâtisseurs », Association Envie de Quartier, Strasbourg (67), Déc. 2017 - Fév. 2018.
Voir l'acticle d'« Insolites Bâtisseurs », Dernière Nouvelles d’Alsace, 03 décembre 2017
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Référence associée

. Baptiste Morizot, Sur la piste animale, préface de Viviane Despret, Actes Sud, Arles, 2018, p. 19-20

« Le mot de "nature" n'est pas innocent : il est le marqueur d'une civilisation vouée à exploiter massivement les territoires vivants comme de la matière inerte et à sanctuariser des petits espaces voués à la récréation, à la performance sportive ou au ressourcement spirituel - toutes attitudes à l'égard du monde vivant plus pauvres que l'on ne l'aurait voulu. Le naturalisme selon Descola, c'est notre conception du monde : cette cosmologie occidentale qui postule qu'il y a des humains d'un côté qui vivent en société fermée, face à une nature objective constituée de matière de l'autre côté, comme un décor passif pour les activités humaines. Cette cosmologie prend pour une évidence que la nature "ça existe" ; c'est tout ce qui est là-dehors, c'est cet endroit qu'on exploite ou qu'on arpente en randonneur, mais ce n'est pas là où l'on habite, ça, c'est sûr, parce qu'elle n'apparaît justement "là-dehors" que par distinction avec le monde humain dedans.
Avec Descola, on se rend compte que parler de "nature", utiliser le mot, activer le fétiche, c'est déjà étrangement une forme de violence à l'égard de ces territoires vivants qui fondent notre subsistance, de ces milliers de formes de vie qui habitent avec nous la Terre, et à qui on voudrait faire une place autrement que comme des ressources, des nuisibles, des indifférents, ou de jolis spécimens qu'on scrute aux jumelles. Ce n'est pas anodin que Descola surnomme le naturalisme : la cosmologie la "moins aimable". C'est usant quand même, à terme, pour un individu comme pour une civilisation, de vivre dans la cosmologie la moins aimable. »